Lorsque Paul B. Precido décide de faire une révolution de genres, il ne mâche pas ses mots, taille dans le vif, ne fait aucune concession.
Face aux discours féministes parfois trop consensuels à mon goût, je me suis délectée d’une lecture qui montre que les normes ne correspondent à aucun d’entre-nous.


L’on connait Paul B. Preciado pour ses écrits sur le genre, sa prise de testostérone -relatée dans Testo-Junkie : sexe drogue et biopolitique, son poste de professeur d’étude de genre à l’Université Paris 8, sa relation amoureuse avec Virginie Despente alors qu’il était encore une femme.
Et parfois l’on ne connait pas Paul B. mais on a lu Vernon Subutex de Virginie Despente et alors on le reconnait dans quelques descriptions, au détours de quelques phrases.

Un appartement sur Uranus ce sont quelques unes des chroniques de Paul B. Preciado publiées sur le site de Libération.
Des chroniques qui parlent non seulement de l’actualité mais aussi du genre, c’est une lecture de l’actualité par et pour le prisme du genre, d’un homme en transition.

J’attends depuis des mois qu’un magistrat de l’État espagnol – qui reste à ce jour une démocratie monarchique- m’autorise à remplacer, sur mes papiers d’identité, le nom féminin qui me fût assigné à la naissance par un prénom masculin. De cette attente dépend mon aptitude à voyager librement, louer une voiture ou un appartement, utiliser une carte de crédit ou loger dans un hôtel. Techniquement il s’agit d’un “dossier de changement de sexe à l’état civil”. […] C’est une procédure administrative relativement complexe, apparemment rigoureuse, mais qui dans les faits est remplie de contradiction. Une procédure finalement plus proche de la performance d’art conceptuel que de l’acte juridique. Pour constituer ce dossier, il est nécessaire de joindre un certificat médial diagnostiquant ce que l’État espagnol dénomme “dysphorie de genre”.

“Prénoms : Paul Breatriz, requête 34/2016”
(Page 223)

Dans peu de temps nous cesserons d’imprimer le livre pour imprimer la chair. Nous entrerons dans une nouvelle ère d’écriture biologique numérique. L’ère de Gutenberg s’est caractérisé par la désacralisation de la Bible, la sécularisation du savoir, la prolifération de langues vernaculaires face au latin et la multiplication des langages politiquement dissidents. En entrant dans l’ère Gutenberg biologique 3D, on connaîtra la désacralisation de l’anatomie moderne comme langage vivant dominant.

“Après le livre, imprimons la chair”
(Page 256)

J’imaginais que me rendre à Hydra serait comme insérer un disque nettoyant dans mon cerveau. Je ne pensais pas à des vacances. Je pensais vider l’archive, décharger la mémoire. Je pensais effacer. Réinitialiser. Mais rien ne s’efface, ni ne se réinitialise Même les machines ne peuvent être réinitialisées. Qui dit effacer, dit un mensonge. Comme l’expliquait Derrida en commentant Freud, la mémoire est une ardoise magique sur laquelle apparaît encore et encore ce qui a déjà été inscrit. En passant la barre pour effacer ce qui vient d’être écrit, la superficie semble prête à recevoir une nouvelle couche d’écriture, mais sous cette superficie existe une autre couche, un espace dense et illisible, chargé de traces indélébiles. Et la conscience peut bien revenir avec une gomme énorme : rien ne s’efface. Où va la douleur quand elle semble s’être fait oublier ? Où va l’amour quand il semble avoir été oublié ?

“Mon peuple est celui des mal nés”
(Page 298)


Pour aller plus loin, je vous conseille -du même auteur- l’excellent Pornotopie, où comment le domicile est décrypté d’un point de vu capitaliste, sexuel et sous l’angle de la domination masculine.